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Michel Feltin-Palas

Sur le bout des langues : l’actualité du français et des langues de France

Retrouvez chaque semaine sur Fle.fr la Lettre d’information de Michel Feltin-Palas, rédacteur en chef à L’Express, consacrée à la vie du français, des langues de France et à la diversité linguistique.


Extraits et sommaire de la Lettre du 7 juillet :

"Jean Castex : j’ai un accent et alors ?

Les intonations gasconnes du nouveau Premier ministre ont suscité de nombreux commentaires. Comme si, en France, l’on ne pouvait accéder aux plus hautes fonctions qu’avec l’accent standard...

C’est l’une des remarques que l’on a entendues après la nomination de Jean Castex à Matignon. "Tiens ? Il a un accent". Enfin, cela, c’est la version neutre, car il y a eu aussi ce tweet de Bruno Jeudy, de Paris Match : "Le nouveau premier ministre n’est pas là pour chercher la lumière. Son accent rocailleux façon troisième mi-temps de rugby affirme bien le style terroir".

On m’accusera peut-être de faire de la pub pour mon dernier bouquin sur le sujet, mais ces commentaires m’incitent à rappeler quelques vérités souvent oubliées.

Oui, Jean Castex, né dans le Gers et élu dans les Pyrénées-Orientales, a un accent, mais Edouard Philippe aussi en avait un ! L’accent n’est en effet que la manière de prononcer une phrase. Dès que l’on parle, on parle "avec un accent". Il est donc significatif qu’on le fasse remarquer aux uns, mais pas aux autres.

Il est révélateur que l’on s’étonne d’avoir pour Premier ministre un homme qui ne s’exprime pas avec l’accent standard. Cela laisse entendre, en creux, que l’on a du mal à considérer que l’on puisse occuper une haute fonction en parlant français différemment.

D’autres réactions sont allées dans l’autre sens, sur le mode : "Avec son accent du Sud-Ouest, je le trouve plutôt sympa". Ce type de réactions n’est pas plus sensé. On peut être Gersois et antipathique ; on peut être Parisien et sympathique.

Etablir une équivalence, positive ou négative, entre l’intonation d’une personne et ses qualités morales ou intellectuelles supposées, relève de l’a priori. Il faut juger Jean Castex - comme quiconque - sur ses actes et ses paroles, pas sur la manière dont il s’exprime.

Qu’il y ait des accents différents en France ne devrait pas être un problème. Le problème est que, de toutes ces manières de parler, une seule est jugée non seulement "neutre", mais supérieure aux autres. Comme s’il suffisait de ne pas avoir l’accent standard pour être soupçonné d’énoncer des stupidités.

Le philosophe et historien des sciences Michel Serres, qui n’était pas exactement le dernier des imbéciles, rappelait qu’il avait dû attendre 60 ans pour être pris au sérieux et avait été rétrogradé à l’agrégation en raison de ses intonations d’Agen.

Langues, accents : les discriminations oubliées

Contrairement à ce que l’on croit souvent, cet accent standard n’est pas celui de Paris, mais celui de la bourgeoisie intellectuelle de l’Ile-de-France, ce qui n’est pas la même chose. En réalité, les intonations du titi parigot à la Arletty, comme celle des jeunes des cités pudiquement qualifiées de "difficiles", sont tout aussi stigmatisées que les accents de Marseille ou des Vosges.

Ce qui signifie que cette hiérarchie est la marque non seulement d’un mépris géographique - celui de la capitale vis-à-vis de la province - mais aussi d’un mépris social - celui des "élites" vis-à-vis des classes populaires. Dans une République qui prétend être au service du peuple, cela pose un léger problème.

L’accent est un attribut de la personnalité au même titre que la religion ou la couleur de peau. "Rejeter votre manière de parler, c’est rejeter votre personne même", explique le sociolinguiste Philippe Blanchet, l’inventeur du mot "glottophobie". Ce terme, forgé sur le modèle de "xénophobie" ou "homophobie", permet de montrer qu’il s’agit du même ressort : on rejette quelqu’un pour ce qu’il est et non pour ce qu’il fait.

Cela s’appelle une discrimination. [...]"

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Egalement au sommaire de la Lettre :

  • Les poncifs glottophobes de Bruno Jeudy
  • La vague verte, une bonne nouvelle pour les langues régionales ?
  • Poutine impose la primauté de la langue russe
  • Menaces sur l’enseignement du français en Louisiane

Lire aussi sur le blog de Philippe Liria :
Paris choqué : le nouveau Premier ministre ne parle pas pointu !