Apprendre le français en France
Enseigner le français L’actualité du FLE et du français dans le monde

Les tablettes : et si vous vous y mettiez ?

Questions à Laurent Carlier

Laurent, vous croyez beaucoup aux tablettes tactiles pour l’enseignement et l’apprentissage d’une langue, vous avez assuré des formations au sein de l’Éducation nationale et suivi un certain nombre de projets dans ce domaine. Vous avez parlé de l’usage pédagogique des tablettes pour le FLE/FLS dans un entretien sur le café du FLE et sur la revue du CNDP L’école numérique. Plus qu’à tous les apports de cet outil pour l’enseignement et l‘apprentissage que vous avez bien développés dans ces articles, j’aimerais qu’on s’intéresse à ce qui empêche encore un grand nombre de profs de faire l’acquisition d’une tablette ou du moins d’en explorer l’usage. Dans les milieux du FLE, rares sont encore les enseignants qui l’utilisent à titre personnel… Est-ce seulement une question de moyens à votre avis ?

Au contraire, beaucoup d’enseignants l’utilisent à titre personnel mais peu à titre professionnel. La grande difficulté de tous ces nouveaux outils, qui n’ont pas été conçus à l’origine pour un usage pédagogique, est de savoir cerner leurs potentiels pour les utiliser de façon pertinente et cohérente à des fins d’enseignement/apprentissage. Les enseignants les plus innovants perçoivent les plus-values de ces technologies qui sont nécessairement au service de la pédagogie. Mais, bien souvent, par défaut de formation, d’accompagnement, de communautés d’échange de pratiques, la réalité sur le terrain est tout autre et la pédagogie s’efface bien trop souvent face à l’effet "Las Vegas" de ces outils, avec les résultats que l’on connait sur la perception "biaisée" du numérique.

Ne recommence-t-on pas la même histoire qu’avec les TBI, extrême réserve d’abord, scepticisme des profs, et puis résignation devant les décisions d’achat des chefs d’établissements ou de centres de FLE ? On se forme parce qu’on y est obligé, on se forme peu, et on utilise l’outil dans ses fonctionnalités les plus pauvres et magistrales. Un rapport québécois qui vient de sortir dit crûment ce qui se chuchote depuis longtemps : « Le TBI ne sert la plupart du temps que d’écran de télévision ou de projection ». Selon Thierry Karsenti, chercheur québécois des « TIC en éducation », le TBI est dépassé et « la tablette est de loin la technologie la plus intéressante pour enseigner, en étant beaucoup moins problématique » : http://www.psychomedia.qc.ca/
Les profs se disent peut-être : laissons les passionnés et les décideurs s’exciter et attendons la prochaine mode ! Larry Cuban analyse en ce sens les décisions politiques d’implantation des tablettes aux USA et dans de nombreux pays. La tendance qu’il observe est simple : il s’agit d’acheter le dernier gadget à la mode sans s’interroger sur les besoins précis des étudiants en matière d’apprentissage. http://larrycuban.wordpress.com/

Le rapport québecois soulève effectivement une triste réalité. On ne compte plus les TBI laissés dans les cartons, inutilisés à cause d’un simple problème de driver ou utilisés à 2 % de leur potentiel par des enseignants qui en ont fait leur propre "joujou". C’est affligeant. L’intégration du numérique en éducation ou en formation professionnelle n’a jamais pu aboutir aux résultats escomptés. Les causes sont multiples mais il y a une certaine récurrence sur l’absence de vision globale des décideurs qui, envoûtés par les discours commerciaux, investissent en masse sur ces matériels sans avoir mené une réflexion en amont sur "pourquoi ce matériel ?" " quelles plus-values pédagogiques ?" "Quelle intégration dans les cursus/pratiques ?" " Quelle formation des équipes éducatives ?" " Quel accompagnement à définir ?" " Quelle valorisation à susciter ?"
Ajouté à cela, la position de l’enseignant dans la transmission du savoir. Tant que l’enseignement restera à 90% de façon frontal, ces outils ne pourront jamais être exploités sur tout leur potentiel. Le numérique casse, il est vrai, la verticalité de la classe mais doit-on s’en effrayer dans une société où les connaissances s’acquièrent de plus en plus facilement par les échanges et la collaboration ?

Quels avantages spécifiques peut-on tirer de l’usage des tablettes en cours de FLS ou en alphabétisation par exemple ? Un mauvais esprit vous dirait que fait de collaborer en ligne par exemple, d’écrire à plusieurs sur un même document constitue une activité classique sur un outil comme Etherpad ou Googledocs, donc avec un simple navigateur. Même chose pour des photos, pour des enregistrements que l’on peut envoyer à partir de son smartphone et intégrer dans un blog pour les partager. J’ai l’impression qu’on découvre avec la tablette des usages pédagogiques possibles qui existent déjà…

Avez-vous déjà essayé d’annoter un visuel sans perdre un temps fou entre "souris-clavier-écran" ?
Avez-vous déjà créé une BD en 10 minutes sans les innombrables aller-retour "photo-carte sd-ordinateur-logiciel" ?
Avez-vous déjà réalisé en peu de temps un projet de baladodiffusion vidéo en laissant les apprenants libres de leurs mouvements et rendus ?
Avez-vous déjà mis en place un projet d’écriture collaborative "en présentiel" à plusieurs mains sans les prises de possession inévitables de la souris et du clavier ?
Avez-vous pu déjà garder le déroulé de vos documents vidéoprojetés tout en vous mouvant dans la classe ?
Avez-vous pu diffuser massivement et rapidement vos ressources médias à l’ensemble de la classe ou à des groupes d’apprentissage différenciée ?
Avez-vous pu déjà entamé une séquence média en 5 secondes sans attendre l’interminable démarrage de l’ordinateur ?
...


Si vous aviez un argument particulièrement solide en faveur de cette solution pour l’apprentissage de la langue française, ce serait lequel ?


"Créatif, collaboratif et enrichi" : 3 adjectifs pour qualifier cet outil qui a toute sa place en classe de langue.

Photo couverture, CC : http://www.flickr.com/photos/ebayink/6816581220/